Retour page précédente

Seine Port prépare le centenaire de ses antennes, inaugurées le 7 août 1922


Antennes
L'Illustration 1922

Une aventure historique spectaculaire

Tandis que « la Fée Electricité », à la fin du 19ème siècle, enchante les populations en éclairant leurs lieux de vie, nombre de savants poursuivent les expériences qui vont bientôt révolutionner les communications internationales. Ampère, Faraday, Maxwell, Marconi, Branly, pour ne citer que les plus connus, explorent le domaine de l’électromagnétisme, des ondes qui se propagent à la vitesse de la lumière, de la Télégraphie et Téléphonie sans fil (TSF). Une avancée scientifique considérable que vient accélérer la première guerre mondiale. Il est alors urgent, et crucial, d’envoyer des messages outre-manche et outre-Atlantique.

Le Figaro
12 juillet 1920
Annonce

Convention Convention

Deschamps
(Photo Agence ROL)

La première pierre est posée le 9 janvier 1921 par Louis Deschamps, sous-secrétaire d'État aux Postes et Télégraphe.

Dans son discours, « il félicita d’abord les initiateurs hardis d’une entreprise si utile au pays… Puis, le général Ferrié, le commandant Bénot, MM. Bethenot et Latour » et de conclure : «Notre pays sera plus connu à travers le monde ; son rayonnement s’étendra davantage. Promesses d’avenir superbe si jamais il en fut.»

L’assistance est sidérée par l’annonce d’une avalanche de chiffres. Le commentateur ajoute : «il est des limites où le progrès scientifique touche au surnaturel et vous donne l’impression d’une sorcellerie.».


Cependant, les amoureux de la nature se lamentent sur le prochain massacre des hautes futaies du domaine de Sainte- Assise, car il s’agit bien de 600 ha à occuper sur l’ancienne propriété du Prince de Beauvau.

«Le génie humain qui capte et discipline les forces mystérieuses de la création, s’apprête à sacrifier les pins vigoureux, les chênes centenaires, les peupliers élancés, et les frêles bouleaux, parures de douces collines inclinées sur le miroir de la Seine, dans les environs de Melun.» (Le Gaulois – 10 janvier 1921)

Mais « la fanfare bruyante de Seine-Port » entraine le cortège officiel vers le château de Sainte Assise où sera servi le banquet.

Les discours se succèdent. En clôturant la cérémonie, Monsieur le Ministre Deschamps prône «la collaboration de l’Etat et des initiatives privées dans la mise en oeuvre des découvertes françaises, dont les budgets officiels ne peuvent, seuls, assumer le fructueux développement».

Cette collaboration sans faille fit merveille. La construction du centre fut menée méthodiquement, suivant un calendrier journalier et grâce à une organisation des chantiers parfaite. La direction des travaux avait été confiée à M. Brénot, Directeur Technique de la Société Française Radioélectrique, d’envergure polyvalente, qui supervisa tous les chantiers, quels qu’ils fussent. « À tout instant, chaque agent a la possibilité de de constater de combien il est en avance ou en retard sur les prévisions du projet. »

Bâtiment
Bâtiment de la « station continentale » en construction

Base pylône
Base d’un pylône, reposant sur un massif de béton de 50 m3

Ambase
Base haubans

Le 7 août 1922, on inaugurait la station radio électrique de Sainte-Assise … !

À cette occasion, le président de la République Française, Alexandre Millerand, adresse au président des États Unis, M. Warren Gamaliel Harding, le premier radiotélégramme officiel :

« Au moment où va être inaugurée la nouvelle station française de T.S.F. de Sainte-Assise, je tiens à ce que le premier message envoyé aux Etats-Unis vous apporte mon salut le plus cordial. En rendant chaque jour plus facile et plus rapide les communications entre les Etats-Unis et la France, la science va rendre plus intime encore l’amitié des deux peuples et leur permettre de coopérer au bonheur de l’humanité. Personne, plus que moi, ne se réjouira d’un pareil résultat. »

Au bout de quelques minutes, les radiotélégraphistes américains répondent qu’ils reçoivent parfaitement les premiers télégrammes de Sainte-Assise au débit de 80 mots à la minute.

Réponse du président américain :
Je remercie votre Excellence de la pensée courtoise qu’elle a eue de m’envoyer des félicitations par le premier message sans fil entre la nouvelle station de Sainte-Assise et les Etats-Unis. Je me réjouis avec votre Excellence de l’établissement de ce nouveau moyen d’échange rapide de pensées entre nos peuples qui stimulera grandement l’ardeur mutuelle pour le bien de l’humanité qui, dans le passé, a toujours été un lien indiscutable d’étroite amitié.

Quelques semaines plus tôt, lors des derniers essais, M. Gugliemo Marconi (prix Nobel de physique en 1909 avec M. Karl Ferdinand Braun), avait reçu le signal de Sainte-Assise sur son yacht Electra au large de New-York et adressait ses félicitations au poste Français.

M. Deschamps, annonçait, dans un discours solennel, « Grâce à ce réseau, la France fera masse de ses 90 millions d’habitants et des ressources matérielles de son empire colonial. Elle y trouvera un instrument d’influence politique, économique et moral de premier ordre... Elle pourra, grâce à ses multiples stations « commercer et converser » directement avec les autres pays et servir d’intermédiaire à leurs relations réciproques. »
(L’Intransigeant – 8 août 1922)

Un partenariat difficile, public - privé
L’Etat avait besoin de ce service. Certes des câbles sous-marins existaient déjà entre Londres et New-York. Mais la France souhaitait « se libérer du contrôle gênant que les exploitants étrangers des câbles sous-marins exercent sur les communications. » (La science et la Vie, août – septembre 1921). Il voulait par ailleurs, s’affranchir d’une redevance versée chaque année à des compagnies étrangères exploitant les câbles sous-marins, Western Union, Commercial Câble, … de quelques dizaines de millions de francs, pour acheminer le trafic des télégrammes à l’étranger. Enfin les informations économiques et boursières transitant par Londres, elles arrivaient à Paris avec un certain retard, selon le bon vouloir des opérateurs anglais, ce qui portait préjudice à l’économie française.

Mais comment l’État pouvait-il mettre en oeuvre un réseau de communication radio électrique international ?. Des tiraillements opposaient les différents ministères – la Guerre, la Marine, les Colonies, les PTT - ce qui ruinait tout espoir de travailler ensemble à la recherche d’un système cohérent de grande envergure. C’est alors que Louis Deschamps, peu enclin au monopole d’Etat, eut idée d’établir une convention entre son administration et la Compagnie de Télégraphie Sans Fil.

La Convention «Deschamps» du 29 octobre 1920 disait notamment ceci :
- L’État autorise la Compagnie, et la Compagnie s’engage à construire à ses frais et à exploiter à ses risques et périls les installations radioélectriques…
- Un Bureau Central Radioélectrique (BCR) sera installé à Paris par la Compagnie.
- La Compagnie sera tenue d’établir les stations sur des terrains dont elle se sera rendue propriétaire.
- L’administration maitrise le dépôt et l’acheminement des télégrammes sur le territoire.
- Le personnel : l’administration pourra détacher des fonctionnaires ou agents dans les stations de la Compagnie
- Les installations seront rétrocédées gratuitement à l’Etat après 30 ans d’exploitation par la compagnie.

Conformément à cette convention le Bureau de Communication Radio (BCR) est installé au 166, rue de Montmartre, dans le « quartier des affaires », à proximité de la bourse de Paris. Les télégrammes sont reçus directement par pneumatique (réseau parisien), à moins qu'ils ne transitent par les bureaux des PTT avec en-tête
Transcontinentale
Station Transcontinentale

Continentale
Station Continentale
« Via Radio-France » pour bénéficier du service de Sainte Assise et de ses tarifs attractifs par rapport à ceux du câble.
Les radiotélégraphistes travaillent en équipe, dite « brigade ». Le fonctionnement du service est permanent (24h/24). Les brigades se relaient toutes les 8 heures. Ils sont formés par l’administration des PTT, ils sont diplômés de l’école de TSF et agréés.

Télégramme Opérateurs

Deux ans plus tard la Compagnie Radio France encaisse de juteux bénéfices…
Un conflit idéologique ne tarde pas à surgir entre les pragmatiques, partisans d’une convention public-privé, qui vient de faire si bien ses preuves, et les doctrinaires, attachés au monopole d’Etat.
Soutenue par une majorité de parlementaires, dont Léon Blum, une première grève est déclenchée le 7 mai 1924.

Un ancien opérateur radio raconte…
« Notre statut de fonctionnaire d’Etat, mis à disposition d’une société privée, nous posait quelques soucis. Le contrat « Deschamps » livrait un monopole d’Etat au consortium Radio France – Radio Maritime. De plus, notre rémunération, qui émanait de la société Radio France, avait été grignotée à 550 Francs mensuels. Bien que nous soyons assez fiers de notre qualification de radio télégraphiste, et de contribuer à une oeuvre sociale de communication mondiale, la mise à pied de certains de nos camarades nous a paru insupportable.
Aussi, après avoir prévenu nos collègues des bureaux de New-York et de Londres, nous avons décidé de cesser le travail au moment de la relève de brigade. Ces derniers nous ont exprimé leur solidarité et nous avons même pensé qu’ils suivraient aussi le mouvement. Les personnels des stations radio de Sainte Assise et de Villecresnes ont aussi débrayé. On pouvait compter 75 grévistes sur 90 à Radio-France, donc un mouvement largement suivi.
Quelques jours plus tard, la publication des résultats financiers de la compagnie nous conforta dans notre lutte : au bout d’une année d’exploitation, le bénéfice net était affiché à près de 2, 7 millions de francs. » (L’Évènement, 14 mai 1924)
Nos revendications étaient :
1- une hausse salariale de 200 Francs
2- la réintégration de nos camarades mis à pied
3- la création d’un conseil de discipline paritaire.
Nous mettions fin à la grève le 19 mai après avoir été longuement reçus par MM. Girardeau et Pietri, administrateurs à Radio France, les personnels licenciés étaient réintégrés. »


De nombreux visiteurs viennent à Sainte Assise parmi lesquels : M. Thomas Garrigue Masaryck, président de la Tchécoslovaquie le 17 octobre 1923, Ferdinand 1er, roi de Roumanie le 22 avril 1924, le prince Taffarie le 20 mai 1924, M. Elias Calles, président du Mexique le 13 octobre 1924, M. Krassine Léonid, commissaire du peuple au commerce et à l’industrie soviétique le 22 avril 1925, le Sultan du Maroc le 3 août 1926, et tant d’autres parmi lesquels le Bey de Tunis, l’Empereur d’Ethiopie, le Prince de Thaïlande, …

Une prouesse technique
L’antenne de Sainte Assise émet une onde électromagnétique suffisamment puissante pour être perçue par toute installation ad hoc située sur le globe, y compris sur les navires en mer. Cette onde s’élève jusqu’à la couche ionosphère de l’atmosphère, située à 80 km d’altitude, qui la renvoie au sol.

Le phénomène pourrait se rapprocher de celui de l’ondulation de l’eau lorsqu’on jette une pierre dans un canal : l’ondulation se propage jusqu’au bord opposé et repart en sens inverse. L’onde électromagnétique de Sainte-Assise se propage de la même manière, la couche ionosphérique renvoie l’onde vers le sol, qui à son tour, renvoie l’onde, ainsi de suite. Plus la puissance électromagnétique émise est importante, plus l’onde se propage loin.

Il aura donc fallu à peine 18 mois aux ingénieurs, techniciens, et ouvriers pour construire bâtiments et pylônes, installer moteurs, groupes d’alternateurs à haute fréquence, système complexe de « terre à prises multiples », et antenne aux dimensions gigantesques.

Vue

L’antenne filaire composée de 20 fils parallèles d’une longueur totale de 70 kilomètres est suspendue à 250 mètres d’altitude par 16 pylônes d’une section de 2 X 2 mètres. L’antenne s’étend sur une superficie 2,8 kms sur 400 mètres.

Chaque pylône est construit sur un imposant massif de béton enterré de 50 m3 (environs 20 tonnes). Il est haubané par 28 câbles d’acier à haute résistance mécanique (charge de rupture de 200kg/mm²). Ces haubans, fixés à différentes hauteurs sont réglables et ancrés eux-mêmes dans des blocs de béton enterrés.

Les antennes supportent une tension électrique limitée à 150.000 volts, d’où le choix d’un site comme le plateau de Sainte Assise, situé au-dessus d’une nappe phréatique dite « perchée » permettant la mise en oeuvre d’une « terre électrique » efficace.

La partie électro mécanique bénéficie des dernières découvertes. Deux moteurs à courant continu couplés entrainent deux machines à haute fréquence. Il est possible d’assurer soit deux émissions simultanées, soit une seule en utilisant la totalité de l’antenne.
La capacité de transmission est de 36.000 mots par heure.

Continentale Transcontinentale

Vue d'ensemble

Plan
Direction

En parallèle, un centre de réception est construit à Villecresnes, afin de recevoir les télégrammes des stations étrangères.

 

À partir de 1925, l'utilisation des ondes courtes va complètement changer l'aspect final du champ d'antennes (Téléchargez ce plan)
Plan de masse

Sources : https://gallica.bnf.fr - https://retronews.fr - Archive Orange

Retour page précédente