Caricature par
André Gill
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Victor Schoelcher
(Paris, 1804 - Houilles 1893)
Par Jean-Marc Goglin
Victor Schœlcher
naît à Paris le 22 juillet 1804, d’un père
alsacien, fabricant de porcelaine de luxe, et d’une mère
parisienne. Il effectue de courtes études au Lycée
Louis-le-Grand avant de travailler, dès l’âge
de quinze ans, à la fabrique familiale, située Faubourg
Saint-Denis. En 1828 d’ailleurs, son père l’associe
officiellement à l’entreprise.
Victor Schœlcher s’intéresse aussi à la vie
politique de la Restauration. Il adopte cependant les idées républicaines
et adhère bientôt au mouvement Aide-toi le ciel t’aidera,
fondé en 1827 par François Guizot et qui se destine à coordonner
l’action des libéraux pendant les élections législatives.
Initié à la franc-maçonnerie, le jeune homme fréquente également
les milieux littéraires et artistiques de la capitale. Il se lie à la
jeunesse romantique en faisant la connaissance de Victor Hugo, d’Alphonse
de Lamartine, de George Sand…
Amené à voyager pour commercialiser les porcelaines familiales,
Victor Schœlcher se rend, dans les années 1829-1830, aux
Amériques et en particulier à Cuba. Il découvre
alors la dure réalité de l’esclavage et décide
de militer contre ce qu’il juge être une infamie.
Dès son retour, Schœlcher publie un premier article dans
la revue Des Noirs. Ce texte est une véritable prise de position
contre l’esclavage. Dès lors, il ne cesse d’écrire
et collabore ainsi à la plupart des journaux républicains
parisiens, à La Réforme en particulier. Au cours de ces
années, Victor Schœlcher rédige également de
nombreux ouvrages consacrés à la cause abolitionniste :
De l’esclavage des noirs et de la législation coloniale
en 1833, l’Abolition de l’esclavage en 1840, Des colonies
françaises, abolition immédiate de l’esclavage, ouvrage
consacré à la Guadeloupe et à la Martinique, en
1842, Colonies étrangères et Haïti qui rend compte
en 1842-1843 des premiers effets de l’abolition de l’esclavage
dans les colonies britanniques ainsi qu’une Histoire de l’esclavage
pendant les deux dernières années en 1847. Dans ces textes,
le modèle de réorganisation sociale sans esclavage qu’il élabore
est très empreint des théories du socialisme utopique de
son temps. Cependant, il préfigure par bien des aspects l’évolution
des sociétés antillaises pendant la seconde moitié du
siècle.
Au mois de septembre 1847, Victor Schœlcher se décide à entreprendre
un séjour au Sénégal dans le but de collecter des
matériaux sur les civilisations africaines mais aussi de visiter
les lieux de la traite, comme l’îlot de Gorée. A Paris à la
même époque, les événements révolutionnaires
renversent la Monarchie de Juillet. Après l’abdication de
Louis-Philippe d’Orléans, l’avènement de la
Seconde République décide de son retour en France. Le 3
mars 1848, François Arago, ministre de la Marine et des Colonies,
l'invite à le rencontrer. Ensemble, ils se persuadent de l'urgence
de l’émancipation des esclaves et rédigent le texte
abolitionniste que le ministre fait signer le jour même à ses
collègues. Le lendemain, Schœlcher est nommé sous-secrétaire
d’État aux Colonies. Alors que l'opinion est désormais
massivement gagnée à la cause de l'antiesclavagisme, la
première décision du nouveau ministre est de former une
commission, qu'il préside personnellement, chargée d'élaborer
la législation abolitionniste. Le décret d’abolition
de l’esclavage dans les colonies françaises est alors promulgué par
le Gouvernement provisoire, le 27 avril 1848. Celle-ci est immédiate.
De plus et à la différence des mesures prises en 1794 par
les Conventionnels, une indemnisation est promise aux détenteurs
d'esclaves pour la perte de ce qui est tout de même considéré comme
une propriété.
Après la promulgation de la Constitution, le 4 novembre suivant,
Victor Schœlcher se présente aux élections législatives,
organisées le 13 mai 1849. Élu au suffrage universel dans
les trois colonies françaises des Antilles et de la Guyane, il
choisit alors de représenter la Martinique et siège avec
la Montagne afin de défendre son oeuvre. Dans l’île,
les populations sont frappés depuis le début du siècle
par la crise de l’économie sucrière tandis que la
suppression de l’esclavage est à l’origine d’un
bouleversement des rapports sociaux. Sévit aussi la réaction,
les gouverneurs qui se succèdent se mettant au service des planteurs
blancs pour réprimer la presse républicaine. Aussi Schœlcher
se décide donc à fonder son propre journal, Le Progrès,
qui paraît pour la première fois en Guadeloupe au mois de
juin 1849. Il publie également à Paris une série
d’ouvrages relatant les événements politiques antillais.
Fidèle à ses convictions politiques, le député prône
la réorganisation de la société par l’instruction
gratuite et obligatoire, par l’exercice du suffrage universel.
Cependant le "schœlcherisme" est redouté à la
fois par les colons, qui craignent la perte de leurs biens et de leur
influence politique face à la supériorité numérique
des anciens esclaves devenus "nouveaux citoyens", et par les
autorités gouvernementales, qui voient en lui l’inspirateur
des troubles politiques que connaît la Guadeloupe à la même époque.
Schœlcher prend d’ailleurs part à la polémique
qui suit le procès de Marie-Léonard Sénécal,
indépendantiste guadeloupéen, condamné au bagne
de Cayenne pour incitation à la révolte. Il proteste alors
contre cette condamnation. Pourtant, Victor Schœlcher défend également
les mesures qui lui semblent être les plus aptes à assurer
la prospérité des colonies et des colons.
Républicain convaincu, Schœlcher combat sur les barricades
le coup d’État du 2 décembre 1851 en compagnie d’une
poignée de députés de l’Assemblée nationale.
Il quitte ensuite le territoire français et se réfugie
en Belgique avant de s’installer en Angleterre en 1852. Victor
Schœlcher demeurera dix-huit années dans la capitale londonienne, à Chelsea
puis à Twickenham, où il se livre, dans plusieurs ouvrages, à de
virulentes attaques contre le gouvernement du Second Empire. En 1859,
il refuse l’amnistie des proscrits proposée par l’Empereur
Napoléon III. Quelques années plus tôt, en 1857,
le mélomane publie une Vie de Haendel. Au cours de ces années,
il se passionne d’ailleurs pour ce compositeur, collectionnant
les portraits et les manuscrits le concernant.
Victor Schœlcher rentre en France au mois d’août 1870,
alors que la guerre est bientôt déclarée contre la
Prusse. Après la déchéance du Second Empire et la
proclamation de la République, il est nommé colonel d’État-major
puis général à la tête d’une légion
d’artillerie de la Garde nationale. Pendant le siège de
Paris, Schœlcher occupe les fonctions de vice-président de
la Commission des barricades. Durant la Commune de Paris, il se range
aux côtés de conciliateurs et est élu, le 8 février
1871, représentant du peuple de Paris.
Réélu député de la Martinique au mois d’avril
suivant, il se consacre alors au développement économique
des Antilles. En 1874, Victor Schœlcher devient le président
de la Société de secours mutuel des Créoles. L’année
suivante, il est nommé sénateur inamovible de la Martinique
puis membre du Conseil supérieur des colonies. Schœlcher
continue également d’écrire. Au cours de ces années,
il publie plusieurs ouvrages sur la législation du travail aux
Antilles, sa Polémique coloniale, recueils de ses derniers articles,
des études sur l’esclavage aux États-Unis, au Brésil
et au Sénégal, et une Vie de Toussaint Louverture en 1889.
Adhérant à la Société pour l’amélioration
du sort des femmes, Victor Schœlcher œuvre également
pour imposer la République et la laïcité. En 1881,
il préside ainsi, avec Maria Deraismes, un congrès anticlérical.
Homme de cœur et des grandes causes, Victor Schœlcher lutte
pour l’abolition de la peine de mort. En 1882 et à la demande
du Sénat, il se rendra également à Londres afin
d’enquêter sur les hospices et asiles de nuit pour les enfants
abandonnés.
Victor Schœlcher décède le 25 décembre 1893, à Houilles,
dans sa demeure située 24, rue d’Argenteuil. Inhumé au
cimetière du Père-Lachaise, ses cendres, ainsi que celles
de son père, sont transférées au Panthéon
le 20 mai 1949. |