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Emile Paladilhe
(1844 - 1926)

Habitait "Maison Rouge"

Pour en savoir plus, lisez
"Seine-Port, Son histoire, Ses vieilles maisons"
de Dominique Paladilhe
dans la rubrique Le Village/Son Histoire

Son portrait par Elie Delaunay
Portrait par Elie Delaunay

Emile Paladilhe
par Denis Havard de la Montagne

Plus jeune Premier Grand Prix de Rome, trois ans après Bizet et un an avant Théodore Dubois, Emile Paladilhe est né le 3 juin 1844 dans cette antique cité de Montpellier où sa célèbre faculté de médecine accueillit le futur médecin de l'hôpital du Pont-du-Rhône à Lyon, Rabelais. Son père, docteur en médecine, occupait son temps à des recherches en laboratoire sur la faune marine et avait quelques goûts pour la musique; il jouait de la flûte. La musique était à l'honneur dans cette ville qui avait vu naître, en 1811, Aristide Cavaillé-Coli, fils et petit-fils d'organiers, le dernier du nom et le plus illustre qui sera l'auteur d'instruments de renommée comme ceux de St-Sulpice, Notre-Dame et la Madeleine. De plus, à cette époque, en 1848, un formidable événement avait attiré sur la ville l'attention des savants: la découverte d'un manuscrit de chant liturgique datant du XIe siècle, par l'organiste de St-Eustache et de Notre-Dame, Félix Danjou. C'est le fameux "Antiphonaire" qui comporte des mélodies grégoriennes notées en neumes et en lettres.

Tout jeune, Paladilhe fut confié pour son éducation au R.P. Dom Sébastien Boixet, organiste de la cathédrale de Montpellier. Lorsqu'il avait bien travaillé, ce prêtre l'emmenait avec lui à la tribune et lui permettait parfois de jouer quelques notes en lui prodiguant des conseils. Etant fort doué pour les études, très rapidement notre jeune garçon, alors âgé d'une dizaine d'années. dépassa son maître qui ne put que conseiller à Paladilhe père d'envoyer son rejeton à Paris, afin de lui permettre de poursuivre ses études. Après quelques hésitations, il fut décidé que toute la famille irait dans la capitale (père, mère et les deux sœurs) car il était hors de question d'envoyer un gamin de 10 ans seul à Paris !

18531856

La famille Paladilhe s'installa dans le quartier de Montmartre, à proximité de l'église Saint-Pierre. Inscrit au Conservatoire de Paris, notre jeune homme, accompagné tous les matins par son père, qui lui-même assistait aux cours et prenait des notes, fit de brillantes études. Il eut pour notamment pour professeurs Marmontel pour le piano, Benoist pour l'orgue (le bon "père Benoist") et Halévy, le maître de Gounod, Bizet et Saint-Saëns, pour le contrepoint, la fugue et la composition. Enfant prodige au piano, Paladilhe étonnait par sa technique parfaite et son jeu si plein de charme. Sa mémoire infaillible l'aidait sans aucun doute dans ses rapides progrès et lui permettait d'emmagasiner beaucoup plus rapidement que les autres tout ce que ses illustres professeurs lui enseignaient. A l'âge de 15 ans, il donnait des concerts salle Henri-Herz, rue de la Victoire, qui emportaient un vif succès. Virtuose hors pair, il était aussi un fort bon compositeur, et à 16 ans, en 1860, il obtint à la fois le prix d'orgue au Conservatoire, et le Premier Grand Prix de Rome. avec sa cantate Ivan IV, devant Adolphe Deslandres et Isidore Legouix.

Paladilhe resta trois années à Rome, à la Villa Médicis. Il avait pour compagnons de séjour d'illustres artistes tels que Bizet, les peintres Jean-Jacques Henner et Robert Delaunay, les sculpteurs Jean-Baptiste Carpeaux, Alexandre Falguière et Henri Chapu, et enfin, Ernest Guiraud, le futur professeur d'harmonie et de composition au Conservatoire de Paris qui exerça une grande influence sur ses élèves, parmi lesquels figure Debussy. Quelle admirable promotion! Paladilhe, esprit curieux et passionné par l'Art sous toutes ses formes vécut ainsi à Rome dans ce milieu on ne peut plus favorable au développement d'une grande sensibilité artistique. Il travailla alors avec beaucoup d'ardeur et dès son retour à Paris il rencontra le succès avec la représentation, le 14 janvier 1869 à l'Odéon, d'un acte en vers à deux personnages Le Passant, sur un texte de Coppée. Le public fut enthousiasmé, d'autant plus que l'une des deux interprètes n'était autre que Sarah Bernhardt. Trois ans plus tard cette œuvre était donnée à l'Opéra-Comique et la très célèbre Mandolinata, composée alors qu'il était à Rome, devenait la sérénade du Passant chantée par Mme Galli-Marié.

1869

Puis ce furent des opéras-comiques: L'Amour Africain (sur une légende de Mérimée, 1875), Suzanne (poème de Lockroy et Cormon, 1879), et Diana (poème de Morand et Régnier, 1885). Ce dernier fit l'objet une critique défavorable mais Paladilhe prit rapidement sa revanche avec l'opéra Patrie (sur un livret de Sardou et Gallet, 1886) qui eut un énorme succès, et dont le thème avait déjà inspiré Verdi et Bizet. C'est à cette occasion que se manifesta la profonde amitié qui le liera toute sa vie à Gounod, qu'il avait connu à Rome en 1860, et au littérateur Ernest Le Gouvé (1807-1903). Ceux-ci avaient en effet usé de tout leurs poids et influence pour convaincre Sardou de laisser mettre son œuvre en musique, Widor (1) raconte qu'en 1860, lors d'un séjour à Rome à la Villa Médicis, alors qu'il passait, Gounod (2) entendit, semblant venir de la chambre qu'il avait habité autrefois une voix chanter l'Aria de son Faust dans le jardin de Marguerite "O nature, c'est là que tu la fis si belle…". Il s'élança alors, franchit les trois étages, ouvra brusquement la porte et sauta au cou du chanteur stupéfait : c'était Paladilhe!

Livret Patrie

Le succès de Patrie lui valut son entrée à l'Institut des Beaux-Arts, le 2 juillet 1892, au fauteuil de Guiraud.

Photo

Vers 1875, sur recommandation de Gounod, Paladilhe devenait le professeur d'harmonie de Mme Desvallières, la propre fille d'Ernest Le Gouvé, membre de l'Académie française (3), lui-même fils d'un Académicien (4). Une dizaine d'années plus tard, vers 1889, il épousait Georgina, la fille de son élève qui lui donnera une fille, morte enfant, et un fils, Jean Paladilhe (5). Par ce mariage, il rentrait dans une illustre famille d'artistes, puisque non seulement les Le Gouvé étaient des gens de lettres (6), mais son beau-frère n'était autre que le peintre Georges Desvallières (7).

A cette époque, les Le Gouvé habitaient 14 rue St-Marc, dans le deuxième arrondissement parisien, non loin d'ailleurs de la célèbre cantatrice et tragédienne Mme Malibran. Cela faisait deux siècles que cette famille résidait ainsi cette maison située sur la rive droite de la Seine. Depuis bien longtemps, déjà au temps de Gabriel Le Gouvé, les artistes se donnaient rendez-vous ici. C'est ainsi qu'on pouvait y croiser Casimir Delavigne, Népomucène Lemercier, Joseph Chénier, Melle Contat, Talma et les artistes des Théâtres de la Nation et de Feydeau... Houdon n'avait-il pas réalisé un superbe bronze de son ami le poète Gabriel Le Gouvé, auteur de pièces de théâtre à succès sous la Révolution et le Directoire, qui trônait sur la cheminée du salon? Au temps de Le Gouvé fils ce lieu devint aussi musical et, pendant plus d'un demi-siècle de grands musiciens le fréquentèrent: Rossini, Meyerbeer, Berlioz, Liszt, Chopin, Halévy, Gounod, Bizet, Saint-Saëns.

Ce salon était fort célèbre à Paris et les samedis de la rue St-Marc permettaient aux écrivains et artistes en vogue de venir applaudir les plus illustres chanteurs et instrumentistes. Paladilhe ne pouvait rêver d'une belle-famille aussi parfaite pour l'idéal d'un artiste, d'autant plus qu'il y était choyé et très aimé.

Méridional, son indolence était fort trompeuse, car en réalité c'était un homme d'une grande nature, profondément émotif et incapable de bassesse. Il ne supportait pas la jalousie et fuyait les gens envieux. Fragile dans ses émotions, fidèle dans ses amitiés, il éprouvait de grandes joies à pouvoir parfois, une fois l'été venu, retourner dans son midi où il pouvait rencontrer ses amis, les poètes de langue provençale Théodore Aubanel et Frédéric Mistral. Même en vacances, Paladilhe aimait à se retrouver avec des gens au cœur d'artiste. Tout comme son âme, Paladilhe a un art limpide, ce qui n'empêche nullement la profondeur et l'originalité.

Après avoir donné son succès Patrie, il composait de nouveaux opéras: Vanina et Dalila, une symphonie, de nombreuses suites de mélodies, des morceaux pour piano, une quantité de musique sacrée (des motets et des messes) , ainsi qu'un magnifique oratorio, Les Saintes-Marie de la Mer, sur un poème de Louis Gallet, à la demande de l'évêque de Montpellier le Cardinal de Cabrières. Cette œuvre fut donnée en première audition dans l'église St-Denis de Montpellier, en avril 1892, sous la direction de François Borne. Divisée en quatre parties: Au sépulcre, A Jérusalem, En pleine mer, et En Provence, elle sera donnée par la suite à Paris, notamment par la Société des concerts. Widor nous précise en 1926: "Superbe est le chœur où les voix des apôtres Jean et Pierre, alternent avec le peuple; émouvante la prière de Marie-Madeleine accompagnée de Marie Jacobé et de Marie Salomé. Le tableau maritime en tête de la troisième partie devrait être au répertoire de nos concerts."

Admirateur de Palestrina, Vittoria et des polyphonistes de la Renaissance, Paladilhe avait acquis à Rome cette sûreté de la technique vocale nécessaire à ses œuvres chantées. Sa Messe de St François d'Assise fut donnée en première audition à l'église de St-Eustache le 27 novembre 1896. Dans sa Messe de Pentecôte, le Gloria touche profondément les cœurs par l'appel aux sentiments et l'émotion ressentie à cet instant est très forte. Cependant son art est spontané, son inspiration est profonde et ses mélodies sont expressives.

Homme de théâtre, musicien d'église, Paladilhe savait parfaitement adapter ses moyens d'expression à ces deux genres si distants et si proches à la fois. Premier prix d'orgue au Conservatoire, il a toujours regretté de n'avoir pas été organiste dans une grande église, car il avait toutes les dispositions nécessaires et l'éducation religieuse voulue pour devenir un habile organiste au même titre qu'un Widor, Gigout ou Vierne. Personne ne sait vraiment pourquoi il n'a pu devenir ce musicien d'église, où il aurait été, sans nul doute, un chef d'école avec cet instrument qu'est l'orgue qui est "le seul dont le son, s'il a un commencement, peut n'avoir pas de fin" (Widor), d'autant plus qu'il connaissait mieux que quinconce l'œuvre pour orgue de Bach dont cet instrument est l'expression.

Le 6 janvier 1926, alors qu'il terminait un motet sur le texte Tu es Petrus pour Notre-Dame-des-Victoires, sa tête s'affaissa sur la partition: il était mort!

Quel dommage, quelle injustice, quelle honte que nous ayons totalement oublié ce musicien au point même d'être ignoré de la plupart des dictionnaires de musique. Si nous pouvions écouter ne serait-ce que son admirable et émouvant Stabat mater, composé lors du décès de sa fille en pleine jeunesse, assurément Paladilhe deviendrait un compositeur reconnu de tous; mais qui oserait, de nos jours, donner une œuvre d'un musicien tombé dans l'oubli et dont le public ignore jusqu'au nom ? Celui-là se grandirait à son tour !

1) Dans sa Notice sur la vie et les œuvres de M. Emile Paladilhe, lue dans la séance publique annuelle du samedi 4 décembre 1926 à l'Institut de France, Académie des Beaux-Arts (Paris, typographie de Firmin-Didot et Cie, 1926, 24 p)

2) Gounod a été Premier Grand Prix de Rome en 1839.

3) Ernest Le Gouvè (1807-1903) poète, romancier, conférencier, est surtout connu pour ses drames Adrienne Lecouvreur (1849) et Médée (1854) ainsi que ses comédies Les Contes de la reine de Navarre (1850) et Bataille de dames (1851). Reçu à l'Académie française en 1855, au fauteuil de Lancelot, il a laissé des mémoires Soixante ans de souvenirs (1886-1887) qui sont un témoignage important sur les grands contemporains de son époque.

4) Gabriel Le Gouvè (1764-1812), poète, littérateur, reçu à l'Institut en 1798 et à l'Académie Française en 1803 a laissé également des pièces de théâtre qui eurent un grand succès: La Mort d'Abel (1792), Epicharis et Néron (1794) et La Mort de Henri IV dont la lecture fut faite par Talma à Napoléon. Il mourut des suites d'une chute qu'il avait faite dans la maison de campagne de Mademoiselle Contat, actrice du Théâtre-Français.

5) Jean Paladilhe, mort centenaire le 11 février 1990, fut durant près de 60 ans conservateur du Musée Gustave Moreau, à Paris XIX°. Il est le père de Françoise, décédée le 27 février 1992, membre de la chorale de Trajan Popesco et de l'Association Elisabeth Havard de la Montagne, Gabriel et Dominique. Ecrivain, ce dernier est notamment l'auteur d'ouvrages à caractère historique: Les très riches heures de Bourgogne, Les Papes en Avignon, Chevaliers de légendes, A pied vers Compostelle, Les grandes heures cathares

6) Jean-Baptiste Le Gouvè (1724-1782), écuyer, avocat en Parlement, Conseiller du roi, cultivait également les muses. On lui doit une tragédie intitulée Attilie. C'était le père de Gabriel.

7) Georges Desvallières (1861-1950), élève de Gustave Moreau, fit, pendant la Première Guerre mondiale, le vœu de ne plus peindre d'œuvres profanes. Il dirigea, à partir de 1919, avec Maurice Denis, les Ateliers d'art sacré. Il est l'auteur de nombreuses décorations ou de vitraux, notamment dans la Chapelle de St-Privat et à l'Ossuaire de Douaumont. Membre de l'Académie des Beaux-Arts (1930), son Christ à la colonne au musée d'Art moderne, est de toute beauté.

   
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