Hommage au compagnon R. Desvallières
par Parisien la Noblesse du Devoir
Parisien
la Bonne Volonté, Compagnon ferronnier du Devoir, s'est éteint
après une longue et cruelle maladie.
Le cœur lourd
devant l'inéluctable, le Compagnonnage des Forgerons Maréchaux,
Mécaniciens du Devoir, ressent une infinie tristesse en la perte de ce
grand et modeste compagnon.
C'est dans une période
de deuil national qu'il était venu servir le Compagnonnage dans sa rénovation,
en la ville de Lyon. En 1942, l'honneur me fut dévolu de conduire sa réception
de Compagnon Forgeron. Malgré les vingt années passées,
je me souviens de cette réception, de l'impression qu'elle laisse en mon
cœur.
Car la coutume de
cette réception veut qu'elle s'adresse à l'homme jeune et je me
trouvais devant un être mûri par la vie, dont la sensibilité,
la bonté, le savoir me faisaient prendre conscience de l'être d'élite
que les Compagnons recevaient en sa personne. Cette qualité, Parisien
la Bonne Volonté la portait en lui, sobrement, modestement dans un rayonnement
qu'il ne soupçonnait pas lui-même.
Artisan-bourgeois,
nous aimions l'appeler ainsi, maître ferronnier au savoir indiscutable,
il possédait au plus haut point le sens véritable du forgeage du
fer, auquel s'alliait une maîtrise artistique incontestable.
"Le fer, disait-il,
ne peut se concevoir sous une forme efféminée." Comme nos
ferronniers moyennageux, il le traitiat artistement, mais dans toute son œuvre
se retrouve la forme de dureté que se doit de représenter le fer
dans son essence même de matériau dur; et c'est là que se
résume sa facture personnelle et originale qui lui semblait la vérité.
C'est cette vérité qui
marquait sa rencontre avec le forgeron de pièces mécaniques que
je suis, cette communion d'idées, cette manière de penser le fer
dans sa présentation devait sceller une profonde et fraternelle amitié pendans
ces vingt années, que seule la mort a rompue. Son "grand œuvre" compagnonnique,
la Porte de Strasbourg, dont il dessina le thème, orienta les formes,
fut pour notre corporation une révélation de cette âme d'élite.
Esprit large, profondément humain envers la jeunesse qui allait en assurer
l'exécution, la conseillant mais lui demandant aussi conseil, lui faisant
confiance, et l'œuvre achevée, lui gardant une infinie tendresse
parce qu'elle avait compris et matérialisé son rêve.
De jeunes Compagnons
Serruriers et Forgerons épars sur le Tour de France lui doivent la connaissance
du savoir qu'il leur a dispensé sans compter, pour parvenir à l'élite
du métier; en cet instant, qu'une pensée de gratitude evers lui
monte de leur cœur.
Pour nous, Compagnons,
qui l'avons fraternellement aimé, chaque fois que l'amitié dirigea
nos pas dans certaines de nos maisons compagnonniques, partout où nos
yeux se poseront sur ces réalisations en fer forgé, chaque fois
où, au cours de nos fêtes, nos Mères porteront au poignet
leurs bracelets de réception, l'image de Parisien la Bonne Volonté nous
sera présente.
Un visage mince durement
buriné, aux yeux clairs emplis de loyauté, un esprit sage, bon,
généreux, fraternel, aux conseils toujours éclairés
par la raison, ayant souci d'éviter les heurts de la malice qui trop souvent
divisent les hommes.
Ëtre d'exeption
qui savait que ce n'est pas la règle qui garde les hommes, mais que ce
sont les hommes de Devoir qui gardent la règle. Cette pensée de
Georges Bernanos s'identifie intimement à celui qui fut "Parisien
la Bonne Volonté". Elle vient illuminer ce visage buriné,
qui était comme gravé par sa vie d'homme de métier qu'il
avait su sainement conduire, par sa vie d'époux, de citoyen, de père,
de Compagnon.
Une délégation
des Compagnons Forgerons, Maréchaux, Mécaniciens est allée
l'accompagner à sa dernière demeure, dans cette terre de Seine-Port
qu'il aimait tant. Là il fut porté par les Compagnons et, avait
que la tombe ne se referme, La Fidélité d'Argenteuil, son ami,
s'exprima en ces termes en notre nom à tous :
"Celui que
nous accompagnons aujourd'hui était un pur, un juste. Il nous laisse l'imate
vivante d'un homme d'exception dont l'"xemple qu'il donnait nous apportait
la preuve d'une rare unité intérieure. Nous ne l'oublierons pas,
parce qu'il est dans notre vie comme une rencontre prédestinée,
et si son souvenir est appelé à rester ainsi en nous, c'est que
tout dans son attitude relevait d'une conscience qui mesurait avec un profond
scrupule tout problème, qu'il soit de son art, de son contact avec les
hommes, de ses charges personnelles. Il agissait toujours avec une simplicité et
une bonté sans pareille. Mais un autre trait de son caractère était
la fermeté. Il l' montré tout au long de sa vie, et plus encore
dans ses derniers mois.
Il s'intéressait à tout,
et à ce qui était le plus humble, avec la même attention.
Mais il ne le faisait pas comme un homme qui se disperse : lorsqu'il parlait
de sa vigne, des Compagnons Forgerons et des affaires du métier, ou des événements,
ou du souvenir de George Desvallières, à travers tous ces desseins
de la vie, si différents, on sentait Richard Desvallières et sa
forte personnalité, son attention, son esprit de recherche, sa rectitude
de jugement, son originalité et sa faculté de toucher en chaque
chose un point essentiel et quelquefois inattendu.
Il aimait les hommes,
et c'est ainsi qu'il est entré chez les Compagnons du Devoir, en faisant
choix dans leur tradition d'un nom qui le dépeint tout entier par sa modestie
: il avait voulu être appelé Parisien la Bonne Volonté. Il
a vécu avec les Compagnons pendant plusieurs années la fondation
d'un renouveau de la conscience ouvrière. Chez eux, il se consacrait tout
particulièrement aux forgerons dont il était la fierté.
Par sa présence, il leur a donné au départ un élan
et une qualité qui restera. Depuis il n'avait cessé de s'intéresser
aux Compagnons, dessinant et écrivant, ornant plusieurs de leurs maisons
de purs chefs-d'œuvre, participant à leurs réunions d'étude
et leur apportant le précieux concours de son esprit.
Avec toutes ces richesses,
celles qu'il avait reçues de son père, celles qu'il avait découvertes
lui-même, celles qu'il avait fait découvrir aux autres, Richard
Desvallières avait bâti sa vie comme un homme très droit.
Il n'a jamais fait l'ombre d'une concession qui ait pu altérer cette droiture.
C'est donc une belle et grande vie que nous admirons et que nous saluons ici,
rare, difficile à vivre, et peut-être même surprenante pour
ceux qui ne pouvaient pas suffisamment la comprendre.
Ses amis qui ont
pu voir une dernière fois Richard Desvallières, si rayonnant de
paix après l'ultime épreuve, ont eu la confirmation de cette vie,
tant il est vrai que notre dernier visate porte sur lui la marque de toute notre
existence. En voyant le sien, on ne pouvait penser que : soyons meilleurs ! C'est
la promesse de fidélité que nous lui faisons tous aujourd'hui".
C'est là le
bien modeste hommage que nous pûmes lui rendre; sa foncière modestie
n'en eût pas toléré de plus grand. |