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Le Chemin de Croix de l'église du Saint-Esprit(Paris XIIe)
(1927)

par
George Desvallières

Eglise du Saint-Esprit

   N'ayant pas la foi dans sa jeunesse, il a cependant dit de lui-même "J'ai toujours cherché Dieu". Il allait souvent dans les églises étudier hommes et peintures, et "c'est au cours d'une suite de croquis pris à Notre-Dame des Victoires, sa paroisse, écrit son fils aîné Richard, alors qu'en dessinant il ruminait sur le Credo dont les articles lui paraissaient impossibles à formuler sincèrement, qu'il sentit une force surnaturelle le saisir et le contraindre à aller réciter ce Credo le front contre terre au pied de la Sainte Vierge". C'en fut fait de ses doutes, il se confessa, communia et devint le grand chrétien qui a voulu, surtout après 1914, consacrer tout son art à la peinture religieuse.
     Le Chemin de Croix de l'église du Saint-Esprit est l'une de ses principales œuvres, celle dans laquelle il a peut-être le mieux exprimé son âme et sa spiritualité. Dans une conversation particulière, il disait : "J'ai voulu qu'on n'entrât pas dans l'église du Saint-Esprit sans comprendre que Jésus a souffert pour nous. J'ai essayé de montrer sa souffrance, mais ce n'est pas encore cela. Puis je voulais faire comprendre que cette souffrance n'est pas achevée, mais doit se continuer dans l'homme jusqu'à la fin des siècles".
     Il y a quelque chose de déroutant à première vue dans le Chemin de Croix de Desvallières tant que l'on n'a pas compris les idées qui jaillissent du rapprochement des images : présence de "communiants", du "pont". Cette peinture à l'aspect tragique ne peut laisser indifférent. Bien que l'auteur ait été membre de l'Institut, elle n'est point du tout académique. Cette œuvre sombre et drue, matière à profonde réflexion, révèle un grand symbolisme religieux. Ceux qui n'y sont pas sensibles ne pourront qu'écarquiller les yeux et s'en aller perplexes...
     Puisse ce livret faire comprendre l'œuvre du Maître et en même temps lui faire atteindre le but recherché par l'artiste chrétien : témoigner de l'amour du Christ.

Texte expliqué par le
P. Pierre Marchand,


I - Jésus est condamné à mort
"J'étais comme un agneau docile qu'on mène à l'abattoir" (Jérémie 11,19)

Nous voyons, en parallèle, les deux "Majestés", celle de Pilate, apparente, celle de Jésus, cachée, mais percevable par l'auréole. Il est Roi, mais ne semble-t-il pas porter déjà le poids du péché du monde ? Jésus ne fait qu'un avec le sol. Il est vraiment de notre monde. On entr'aperçoit, à sa droite, l'arche d'un pont.


II - Jésus est chargé de sa croix
"Et portant lui-même sa Croix, Jésus sortit vers le lieu dit 'du Crâne', en hébreu, Golgotha" (Jean 19,17)
"Si quelqu'un veut être mon disciple, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive" (Mat. 16,24)

Jésus reçoit la Croix.
Elle l'enfonce encore un peu plus dans notre terre.
La communiante se trouve à ses côtés.
Peut-on recevoir le Christ par l'Eucharistie sans participer à la Croix ?
L'arche fait penser au pont.


 

IV - Jésus rencontre sa Très Sainte Mère
"A sa vue, ils furent saisis d'émotion et sa mère lui dit : Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois, ton père et moi nous te cherchons, angoissés. Il leur répondit : Et pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je me dois aux affaires de mon Père ?" (Luc 2,48-49)
"Et sa mère gardait fidèlement tous ces souvenirs dans son cœur." (Luc 2,51)

À droite, un groupe ne faisant qu'un avec la Croix : Jésus porte sa Croix; à sa suite, l'Église, en procession et une femme, unie à Jésus par le regard, portant un de ses trois enfants sur son épaule comme Jésus porte sa Croix.
À gauche, un second groupe : Marie, soutenue par une autre femme, les yeux vers Jésus. Derrière, les communiantes : elles aussi rencontreront Jésus avec sa Croix sur le chemin de la vie.
Au centre, sur une ligne, unique, verticale : une communiante, le prêtre, l'Hostie lumineuse, la Croix. Par l'Eucharistie, nous pouvons, aujourd'hui, rencontrer le Christ dans son sacrifice.


V - Simon le Cyrènéen aide Jésus à porter sa Croix
"Ils trouvèrent un homme de Cyrène, nommé Simon, et le requirent pour porter la Croix de Jésus" (Mat 27,32)

C'est dans la faiblesse du Christ que Simon semble prendre sa force. La vie s'élève de ce grain tombé en terre. "La faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes" (I Corinthiens 1,25). Faut-il faire remarquer la présence du pont ?


VI - Une pieuse femme essuie la face de Jésus
"Sans beauté, sans éclat, nous l'avons vu, et sans aimable apparence, objet de mépris et de rebut pour l'humanité, homme de douleurs et connu de la souffrance, comme ceux devant qui on se voile la face, il était méprisé et déconsidéré. Or, c'étaient nos souffrances qu'il supportait, et nos douleurs dont il était accablé. Et nous autres, nous l'estimions châtié, frappé par Dieu et humilié" (Isaïe 53,2-4)
"Je porte en mon corps les marques de Jésus" (Galates 6,17)

À travers le visage de Jésus, au centre, les ténèbres de droite se changent en lumière à gauche. Le visage du Christ sur le voile de Véronique est transfiguré. Le Christ est ce pont qui nous conduira des ténèbres à la lumière.


VII - Jésus tombe pour la deuxième fois
"Ma force et mon chant, c'est le Seigneur, il fut pour moi le salut" (Psaume 117,14)

Le pont traverse de part en part cette toile. La couleur verte nous pousse à l'espérance au cœur de cette chute. Le Christ est à terre, mais n'est pas écrasé. Son regard est implorant. Qui implore-t-il ? Son Père ? Les hommes ?


VIII - Jésus console les filles de Jérusalem
"Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! pleurez plutôt sur vous et sur vos enfants" (Luc 23,28)

Les "filles de Jérusalem", femmes de tous les temps;
ici avec "renards" et chapeaux de 1930.
Sur les autres stations, la Croix tendait vers la diagonale. Ici, par l'horizontale, elle règne sur le monde : "Victoire, tu régneras, O Croix, tu nous sauveras..."


IX - Jésus tombe pour la troisième fois
"Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation. L'esprit est ardent, mais la chair est faible... Mon Père, si cette coupe ne peux passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite" (Mat 26,41-42)
"Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'anéantit lui-même... S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la Croix ! Aussi Dieu l'a-t-il exalté... (Philippiens 2,6-9)

Jésus est anéanti. La nature entière est sombre, en deuil... Pourtant une éclaircie aboutit, à gauche, à la silhouette du Sacré Cœur de Montmartre : voilà le sens profond du chemin de Croix : il nous montre cet immense amour de Dieu pour nous.


X - Jésus est dépouillé de ses vêtements
"Ils se sont partagé mes habits, ils ont tiré au sort mon vêtement. Voilà ce que firent les soldats." (Philippiens 2,6-9)

Douleur physique du Seigneur, douleur morale, douleur spirituelle surtout...
Les anges se voilent la face devant pareille humiliation de l'homme-Dieu


XI - Jésus est cloué sur la croix
"Il a été transpercé à cause de nos péchés" (Isaïe 53,5)
"C'était la troisième heure quand ils le crucifièrent. L'inscription qui indiquait le motif de sa condamnation était libellée "Le roi des Juifs". Et avec lui, ils crucifièrent deux brigants, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche. Les passants l'injuriaient." (Marc 15,25-28)
"Et moi, une fois élevé de terre, j'attirerai tout à moi"
(Jean 12,32)

À droite, les communiants. La Profession de Foi n'est-elle pas Profession de Foi en un Christ crucifié (I Corinthiens 1,23) ?
À gauche, un "poilu" de 1914, avec au premier plan, une femme seule et ses enfants : multiples situations où l'homme est crucifié.


XII - Jésus meurt sur la Croix
"Il n'est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime" (Jean 15,13)
- Père, pardonne-leur, ils ne savent pas de qu'ils font. (Luc 23,34) - Aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis. (Luc 23,43)
- Femme, voici ton Fils, - Voici ta mère. (Jean 19,26)
- J'ai soif. (Jean 19,28) - Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? (Mat 27,46)
- Tout est accompli. (Jean 19,30) - Père, entre tes mains, je remets mon esprit. (Luc 23,46)

Drame de l'humanité divisée en deux autour du Christ. Le "bon larron" tendu vers Jésus en appelle à sa miséricorde, et le Christ est penché vers lui. Le "mauvais larron" se replie sur lui-même, se fermant à l'amour sauveur de Dieu offert en Jésus. Jeux de lumière, couleur verte, et toujours le pont...


XIII - Jésus est descendu de la Croix
"... Après cela, Joseph d'Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate l'autorisation d'enlever le corps de Jésus. Pilate le permit. Ils vinrent donc l'enlever, et Nicodème aussi..." (Jean 19,38-38)

Jésus tend les bras vers Marie, sa mère, comme il les tendait déjà, tout enfant. Mouvement de descente de Jésus vers le bas, mais l'échelle dont le haut est coupé, ne veut-elle pas conduire notre regard et notre pensée vers le haut, le Ciel ?


XIV - Jésus est mis au tombeau
Et déjà brille la lumière de la résurrection

Dans le linceul, on ne voit que le visage de Jésus. Marie semble l'envelopper avec amour, comme elle devait s'occuper de Jésus enfant, endormi. La première communiante est là, écartant son voile, et illuminée déjà par les premiers éclats de la Résurrection.
Un couple, à gauche, semble attiré vers le tombeau lumneux. Ne serait-ce pas l'humanité à qui Jésus, par sa mort, ouvre la porte de l'éternité ?


          Comment comprendre ces toiles ? A première vue, une angoisse se dégage d'une apparence de fouillis. Voici quelques éléments (très subjectifs) pour une lecture de ces peintures sur toiles.
          Les couleurs et la lumière. Ce qui est apparent, terrestre, est souvent lumineux, alors que le Christ est obscur. Comment interprêter ? La lumière pascale ne vient-elle pas sur notre monde à travers l'obscurité de la Passion et de la Croix ? Ou bien : la clarté apparente de notre monde n'est-elle qu'un leurre ? L'essentiel est invisible aux yeux. Ainsi le contraste des deux Majestés de la première station. Dans la dernière station, la tête du Christ mort est bien sombre, tandis que s'illumine la communiante.
          Relevons la couleur verte, présente dès la première station, qui se retrouve discrètement, et parfois dans les moments les plus tragiques. La petite espérance perce...
          Dans la plupart des stations apparaît une arche, ou une esquisse de pont. Le Christ est bien Pont entre Dieu et l'homme, entre le monde créé et le monde divin.
          Autre élément : le Christ semble "englué", la plupart du temps, dans le sol, dans la terre. Ne peut-on pas y voir une magnifique traduction du mystère de l'Incarnation ? Oui, le Christ atteint les profondeurs de la souffrance humaine, enfoncé dans notre terre. Jésus est vraiment de notre monde, et peut nous conduire vraiment dans le monde de Dieu.


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